Concentration indécente de la richesse ou justice fiscale?

Au cours des dernières décennies, non seulement l’écart entre les revenus s’est creusé, mais de nombreuses mesures fiscales ont nettement avantagé les plus nantis. De plus, l’État a démontré une efficacité peu habituelle à répondre aux désirs inassouvis de l’establishment en réduisant leurs impôts, en leur facilitant l’accès aux paradis fiscaux et en imposant à la vaste majorité des restrictions budgétaires qui amputent nos programmes sociaux et vampirisent nos avoirs collectifs. Il est grand temps de repenser la fiscalité pour le bien commun

Les statistiques sur la distribution des revenus sont loin de refléter le portrait exact de l’écart entre les riches et les pauvres. Il est bien connu que la richesse ne se calcule pas seulement en salaires, mais aussi en biens, profits, dividendes et moult sources de revenus passablement moins imposés. Au Québec, la part de salaire du 1 % le plus riche constituait seulement 44 % de ses revenus. Selon un récent rapport sur la distribution de la richesse au Canada, « Outrageous Fortune Documenting Canada’s Wealth Gap » du Centre canadien de politiques alternatives (CCPA), si les 20 % les plus riches concentrent 50 % du revenu national, ils accaparent presque 70 % de la richesse avec 5,4 mille milliards de dollars. Cette concentration est exponentielle au fur et à mesure qu’on remonte la pyramide. David McDonald, auteur du rapport et économiste principal du CCPA, cite les chiffres du magazine Canadian Business sur la fortune de 86 de ces plus nantis (représentant à peine ,001 % des familles économiques) qui s’élève à 180 milliards de dollars, soit l’équivalent des avoirs des 11,4 millions les plus pauvres. Selon la même source, au Québec, les cinq plus fortunés concentrent 16,7 milliards de dollars et 21 milliards de dollars si l’on y ajoute les avoirs de la famille Desmarais, comptabilisés seulement dans la liste canadienne. Voilà un argument de taille pour contrer l’affirmation voulant qu’il soit nécessaire de créer tout d’abord de la richesse avant de la répartir. Les riches seraient trop peu nombreux pour qu’une réforme fiscale colmatant les multiples échappatoires et favorisant une hausse progressive des impôts fasse une réelle différence. Cette assertion nous est servie à tout coup pour invalider la moindre proposition de réforme fiscale progressiste. Or s’il est vrai que les milliardaires sont peu nombreux, il est tout aussi vrai que le 1 % le plus riche s’approprie environ 14 % des revenus totaux (Voir IRIS – Les inégalités : le 1 % au Québec, Graphique 1, p.2).

Le Globe and Mail publiait, en novembre dernier, sous la rubrique « Wealth Paradox », une série de dix articles fort éclairants qui abordent notamment l’écart croissant entre les revenus, la précarisation du travail, la réduction des programmes sociaux, l’inégalité fiscale, etc. Ils proposent des solutions telles que le rétablissement de l’équité fiscale, de nouvelles mesures de formation de la main-d’œuvre, la création d’un nouveau contrat social, etc.

En raison des compressions budgétaires et des réductions des programmes sociaux, les mailles du filet de protection sociale se relâchent et retiennent de moins en moins les laissés pour compte de l’économie néolibérale. La privatisation de services connexes asphyxie lentement les secteurs de la santé et de l’éducation. Le travail précaire augmente au détriment des emplois bien rémunérés et dotés d’avantages sociaux.

Nos impôts devraient en toute logique servir à atténuer les inégalités et redistribuer la richesse, mais l’actuel régime fiscal a été réduit, au fil des budgets des différents ministres des Finances, à un ramassis de déductions, exemptions, crédits sans objectif précis qui ne bénéficient finalement qu’aux mieux nantis, comme le souligne également l’IRIS. Ainsi, le gouvernement se prive actuellement de 100 milliards de dollars par année avec près de 200 crédits d’impôts et déductions fiscales qui bénéficient de façon disproportionnée aux contribuables les plus aisés, dénaturent l’intégrité de notre système fiscal et le rendent inutilement plus complexe. Le temps est venu de redonner une cohérence à notre régime fiscal et de le doter d’objectifs sociaux stratégiques. Une réforme en profondeur s’impose pour renflouer les coffres de l’État sans dégarnir davantage les poches de la vaste majorité. Tout projet de réforme fiscale devra également tenir compte du manque à gagner pour le Trésor public que représentent les multiples facettes des paradis fiscaux.

Des états généraux citoyens pourraient servir de fondation et de tribune à un projet de contrat social fondé sur des objectifs à long terme, où l’action préventive prévaudrait sur l’action réactive, sans être limités à des échéances ou des objectifs électoraux. Nous avons besoin d’un nouveau partage des responsabilités, dont la charge serait directement proportionnelle au poids de la richesse. Comme la générosité et l’éthique ne s’avèrent pas être des vertus très répandues chez cet infime segment de la population, il est vraisemblable de penser à des mesures coercitives plus efficaces.

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